Consentement à la parentalité - Atelier animé par Fanny Gambiez, sage femme et Nathalie Jacquot, CCF
L’atelier débute avec une musique très douce.
Introduction
Nathalie Jacquot, conseillère conjugale et familiale libérale, très intéressée par cette question qu’amènent certains couples en consultation.
Fanny Gambiez, sage-femme depuis une vingtaine d’années, qui exerce en cabinet libéral actuellement sur Chambéry.
Elle accueille des femmes, des couples de toute origine culturelle, de tout milieu social.
Nathalie présente et définit les différents types de familles ou de parentalité par des feuilles A4 affichées au mur :
– la famille nucléaire : l’enfant vit avec ses deux parents, mariés ou non ;
– la famille monoparentale : l’enfant vit avec son père ou sa mère ;
– la famille recomposée : l’enfant vit avec sa mère, ou son père, et un beau- parent ;
– la famille adoptive : l’enfant vit avec des parents non biologiques ;
– la famille homoparentale : l’enfant vit avec son père ou sa mère biologique et son compagnon de même sexe. (L’enfant peut aussi avoir été adopté par le couple).
- la famille matriarcale : c’est une famille où la mère a eu plusieurs enfants, tous de pères différents.
Pourquoi vouloir aborder ce thème dans ce colloque sur le consentement ?
Parce qu’il s’invite dans nos consultations, pré ou postnatales, et de couple… Et qu’il n’est pas simple.
« En préparant cet atelier, nous avons été surprises de trouver peu de littérature sur ce consentement à laparentalité, alors qu’il en existe beaucoup sur le désir ou le non-désir d’enfant. Ce qui n’est pas la même chose : désirer un enfant et consentir, dans le couple ou non, à devenir parent, c’est différent, même si, à un moment du projet, cela se confond, et même si, surtout, ce consentement est plus ou moins explicite, plus ou moins conscient sur ce qu’il recouvre.
Mot « consentement » défini dans la conférence : cum – sentire = sentir avec + implique une liberté personnelle Pour le Petit Robert, c'est un "acquiescement donné à un projet, une décision de ne pas s'yopposer".
Nathalie et Fanny proposent comme point de départ, non un état des lieux mais un questionnement :
« nous sommes parties avec humilité de ce que nous avions, ces questions de désir et de non-désir d’enfant, pour faire l’hypothèse que ce consentement que nous questionnons se trouve quelque part dans cette zone mystérieuse entre désir et non-désir, et qu’il nous fallait les éclairer l’une et l’autre pour tenter de voir où et comment elles peuvent, ou non, se rejoindre »
Le but de cet atelier serait d’ouvrir, grâce à la contribution de chacun des espaces dans nos schémas, de s’interroger ensemble sur cette question ouverte qui ne trouvera pas de réponse toute faite.
D’aller toucher les points qui grincent en nous, les questions gênantes.
Mais que ce questionnement puisse nous faire faire à chacun un pas de plus dans nos représentations, pour accueillir au mieux des situations qui pourraient nous surprendre, voire nous déranger, nous déstabiliser. Et ainsi améliorer notre qualité de présence dans nos accompagnements.
Cet atelier s'articule en 5 temps :
- un 1er temps personnel pour vous relier à une/des situations où vous avez pu être touchés par le sujet
- un 2e temps pour prendre connaissance de quelques repères historiques et cliniques
- un 3e temps d'échange en petit groupe de 4, avec vos voisins et voisines immédiats sur désir/non-désir
- un 4e temps de restitution au grand groupe d'une question, la plus importante émergeant de votre échange
- un 5e temps, de réflexion personnelle à nouveau, sur notre posture d’accompagnant et les points qui nous remuent concernant ces questions.
1/ Temps de réflexion personnelle
« Installez vous confortablement. Nous vous proposons donc de vous connecter à une situation concrète qui peut rentrer dans ce thème.
Nous vous offrons quelques minutes de silence pour laisser venir à votre esprit une situation dans ce contexte qui vous a touché.e : dans vos métier d’accompagnant ou personnellement, directement ou indirectement.
Sans choisir une situation trop impactante émotionnellement non plus… et en laissant remonter en vous ce souvenir, soyez curieux des images qu’il amène, des sensations dans votre corps peut-être… des émotions qui y sont associées… et quelles sont maintenant les questions que cela amène. Nous vous proposons ensuite de noter sur un papier les éléments importants de ce que cela vous a fait traverser, en particulier les émotions, et le questionnement. »
Musique douce
2/ Repères historiques et cliniques sur le désir et le non-désir d’enfant
A l’échelle de l’histoire humaine, il y a très peu de temps que la question du désir d’enfant est posée.
Avant la contraception, on pouvait évidemment désirer ou non un ou des enfants, mais il était naturel et attendu de toute union qu’on en ait, par la famille et la société auxquelles l’individu se pliait, consciemment ou non.
Même si la contraception a commencé bien avant (voir article Didier David, « Les paradoxes du désir d’enfant », Le bébé du diagnostic prénatal, 2003)
« Les études démographiques montrent en effet que la baisse de la natalité en France date de la deuxième moitié du 18e siècle. C’est à partir de cette époque que l’espace intergénésique (espace entre la naissance de deux enfants dans une même fratrie) augmente »[1]), on peut dire qu’avec la légalisation de la pilule en 1967, de l’IVG en 1975 et les 1res lois de bioéthique en France en 1994, qui ont accompagné la naissance du 1er bébé conçu par insémination artificielle, la conception d’un enfant est dissociée de la sexualité depuis 50 à 60 ans maximum, et dissociée de la gestation (PMA) depuis moins de 30 ans.
Il peut sembler paradoxal de parler de contraception dans un développement sur le désir d’enfant, mais jusqu’à une époque récente elle permettait généralement de contrôler les naissances, à savoir de les limiter en nombre et de les programmer dans le temps : « un enfant quand je veux » ; et plus rarement de les empêcher. Et c’est paradoxalement, encore, que cette liberté est venue entraver le désir d’enfant, en reculant de plus en plus l’âge de la première grossesse (30 ans aujourd’hui contre 26 fin années 70), alors que la fertilité d’une femme décroît significativement dès 30 ans.
Nombre de femmes, passé cet âge, sont ainsi surprises de ne pas être enceintes dès qu’elle cessent leur contraception, dans leur croyance de pouvoir faire « un enfant si je veux ».
Le phénomène du non-désir d’enfant est encore plus récent, il en contient 2 en réalité : le non-désir d’enfant en soi et l’expression libre de ce non-désir.
Le non-désir d’enfant, intime, individuel, a sans doute existé de tout temps. Mais son expression, encore rare, commence à peine à être acceptée par l’entourage familial ou la société.
Je cite un article d’Anne Gotman de 2017 :
« Si l’on considère les cohortes de femmes nées en 1950, 1955, 1960, 1965 et suivantes, la proportion de l’absence d’enfant à 50 ans a en effet augmenté dans tous les pays d’Europe. La proportion de femmes sans enfant à 40 ans est, quant à elle, estimée à une moyenne de 18 % pour la cohorte née en 1965, (...) alors que, pour la même cohorte, la moyenne tombe à 13,5 % en France (...) . En ex-Allemagne de l’Ouest, en Angleterre et au Pays de Galles, on estime qu’environ un quart des femmes nées après 1970 vont rester sans enfant de façon permanente. On note que, même dans les pays catholiques, la baisse de fécondité est sensible : la proportion de femmes sans enfant est ainsi passée de 14,6 % pour les femmes italiennes de la génération 1960 à 22 % pour la génération 1966 [Mencarini et Tanturri, 2006]. (...) – sachant par ailleurs qu’en moyenne seuls 3 % des couples sans enfant le sont involontairement pour des raisons d’infécondité biologique. On estime plus généralement que la vie sans enfant augmentera dans presque tous les paysindustrialisés pour atteindre des pourcentages avoisinant 15 à 22 % selon les pays, écrit Thomàš Sobotka dans un article au titre évocateur « Childless Societies? ». (…) S’agissant de l’Allemagne toutefois, où les taux d’infécondité atteignent les niveaux les plus élevés et où les contraintes institutionnelles et structurelles pèsent de tout leur poids sur les parcours familiaux, il semblerait qu’« une “culture de l’absence d’enfant” » ait émergé, qui bénéficie d’une « popularité considérable » jusqu’à être devenue une « option largement acceptée » [Sobodka et Testa, 2008]. »[2]
Intéressons-nous maintenant à ce qu’observent la sage-femme et la CCF…
« Fanny, quels liens observes-tu, chez tes patientes, entre désir d’enfant et consentement à devenir mère ? »
« Le désir d’enfant est en effet une question très récente, et la séparation de l’acte sexuel et de la procréation crée une brèche énorme dans un fonctionnement des principes de base du vivant. Cela bouscule l’ordre établi depuis des millions d’années !! C’est remettre en question une force extrêmement puissante (la sexualité) qui permet la survie de l’espèce. Et là où il n’y avait pas de question auparavant, mais plutôt une nécessité/fatalité, on se trouve aujourd’hui devant une forme de choix qui ne fait plus appel seulement à notre biologie, mais aussi à notre conscience.
Freud dans La Première Théorie des névroses. «Ce serait l’un des plus grands triomphes de l’humanité si l’on parvenait à élever l’acte responsable de la procréation au rang d’action intentionnelle ».
Aujourd’hui, on peut donc choisir en conscience de faire un enfant ! Cela ne nous simplifie pourtant pas la tâche : La liberté psychique n’est pas toujours facile à vivre et peut susciter de l’angoisse ++
Par exemple, en consultation, la décision de retirer un stérilet en vue d’une grossesse. Il est parfois plus facile pour certaines femmes de tomber enceinte sous pilule que d’arrêter volontairement leur contraception. Les jeunes filles qui ne voient plus le lien entre acte sexuel et grossesse.
Croire que la parentalité est une voie royale vers le bonheur est une idée solidement ancrée pour beaucoup : selon un sondage TNS-Sofrès publié en 2009, pas moins de 60 % des personnes estiment que l’enfant contribue à rendre « la vie de tous les jours plus belle et plus joyeuse ».…
La maternité continue bien souvent d’être construite comme une dimension essentielle de l’identité féminine. »
Qu’en est-t-il de l’homme et de sa dimension de père ?
Nathalie : « Je pense en effet à un couple que j'ai reçu, où le désir d'enfant posait un gros problème ; madame était très désireuse d'avoir un enfant, elle en parlait elle-même comme d'une obsession, et monsieur, qui l'avait souhaité le premier dans leur histoire, n'en voulait plus, alors qu'ils avaient tenté de concevoir cet enfant, avec des difficultés comme une fausse couche assez traumatisante pour madame, suivie d'une démarche de PMA. La position de monsieur, qui ne consentait plus à devenir père, alors qu'il l'avait souhaité à un moment de leur histoire de couple, a pris place, parmi d'autres, dans le travail qu'a fait ce couple pour sortir de ce que nous avons vu, tous les 3, comme une impasse à leur arrivée dans mon cabinet.
Ce qui fonde le couple?
Pour le père, c'était lié entre autres à des inquiétudes concernant le contexte sociétal et écologique actuel, mais qu'en est-il des ressorts inconscients de ce non-consentement, liés au couple même, ou à l'histoire de cet homme ?
Fanny : « On peut s’interroger sur les conséquences de la contraception, sur les ressorts symboliques du désir d’enfant. Avant on faisait un enfant sans savoir si on le voulait ou non ; maintenant l’enfant désiré est l’enfant que l’on a décidé de faire naître, celui que l’on a programmé. S’il n’est pas programmé, il est indésirable et l’I.V.G. peut en être la logique sauf si le consentement s’invite.
Ne faut-il pas parfois avoir été confronté vraiment au non-désir pour consentir vraiment au désir d’enfant ? N’est-ce pas en ayant « un peu » conscience de tous les aspects exigeants de l’accueil d’un enfant dans une famille que l’on peut véritablement consentir ?
Le choix de garder une grossesse/ou pas comme objet de chantage dans le couple, ou comme décision tendue.
Et pourtant, n’y a-t-il pas un brin de folie dans le fait d’accueillir l’arrivée d’un enfant ?
Qui peut se sentir à l’avance à la hauteur d’une telle mission ?
La conception contient en germe le déploiement de la personne vivante de l’enfant, tout au long de son développement. Et cet épanouissement de la vie demande de la présence, des liens sécures, du contenant psychique et du contenant socialisant, de la réjouissance à accompagner la croissance de cette personne et de l’amour qui n'attend rien en retour. Du labeur aussi, des douleurs, des doutes et des chagrins, des renoncements et de la détermination à être là, à oser la vie avec toutes les péripéties qu’elle contient.
Passer du désir d’enfant aux désirs pour un enfant c’est, au fond, ce qu’il faudrait accomplir comme déplacement psychique et éthique pour accueillir pleinement cet enfant.
Ne pas consentir à être tout puissant pour son enfant ! La loi française affirme le droit à « l’autorité parentale » et ses devoirs, mais il n’est jamais dit que l’enfant est propriété de ses parents.
C’est l’enfant lui-même qui fait grandir les parents, les fait naitre à eux-mêmes. Combien de jeunes filles/garçons ai-je rencontrés, qui me semblaient si immatures à l’annonce de la grossesse et qui ont révélé une vraie transformation à la naissance de leur enfant.
Proverbe africain : « il faut tout un village pour élever une enfant » : ce rôle de parent n’appartient pas aux parents seuls même si dans notre société il incombe une vraie responsabilité aux parents dans nos modes de vie plus individualistes.
Décalage entre l’enfant imaginaire et l’enfant réel. on réalise à quoi on a consenti à posteriori.
Et les couples qui refusent le désir d’enfant (childfree) : il existe une autre fécondité. Comment accueillir, comment valoriser l’engagement exterieur ?
L’amour véritable est fécond par nature : engagement professionnel souvent important
Ou couples pour lesquels l’enfant ne vient pas alors qu’il est désiré : fécondité dans d’autres aspects de la vie par une disponibilité plus grande – réalisation dans des engagements associatifs, politiques, sociaux…
Couples recomposés : pas forcément d’enfant ensemble. L’idée de l’enfant qui vient sceller la légitimité du couple comme réalisation inconsciente collective. Il y a des couples qui croient ne pas exister sans l’enfant et pour lesquels cela pose.
3/ Echange en groupe de 4
Il est proposé d'échanger sur les réflexions du temps personnel et de choisir, pour la restituer au grand groupe, une seule question importante que cela suscite par groupe, en tant que professionnels de l'accompagnement …
4/ Restitution au grand groupe de la question importante émergeant de votre échange
Comment être dans le consentement tout en gardant des principes éducatifs en fonction de l’âge évolutif de l’enfant ?
La place de l’homme dans le désir de parentalité et de sa parole ?
Suis-je légitime d’enfanter ou pas en écoutant mon désir compte tenu de ma situation physique, psychique, sociale ?
De quelles ressources aurait-on besoin pour consentir ?
Est-ce que la parentalité précède l’existence de l’enfant ?
Quand le consentement à la parentalité est un fondement, quel est le devenir du couple si changement ?
Quel lien entre mental et corporel qui influencerait/modifierait le consentement ?
Consentement du père dans la « famille matriarcale » ?
Couple : projet de couple : séparation/IVG
Consentir à l’autonomisation des enfants…
5/ Temps personnel de réflexions sur le (les) points, listés juste avant, qui peuvent nous remuer dans notre posture d’accompagnant
« En tant que professionnel.le de l’accompagnement, à quel endroit ne suis-je pas confortable dans ces questionnements, qui pourrait être un frein dans ma qualité d’accompagnement ?
Prendre conscience (par des ressentis corporels par exemple) des points qui nous troublent est une première démarche, nécessaire.
Le noter sur une feuille, pour soi, comme point de vigilance ?
la sensation corporelle = outil de l'accompagnant comme une alerte qu'il met en jeu à ce moment-là quelque chose de personnel avec lequel il n'est pas à l'aise. »
CONCLUSION
[1]Didier David, « Les paradoxes du désir d’enfant », Le bébé du diagnostic prénatal, 2003.
[2]Anne Gotman, « LE CHOIX DE NE PAS AVOIR D’ENFANT, ULTIME LIBÉRATION ? », La découverte, Travail, genre et sociétés, 2017.