Témoignage de Catherine MILAN (76) — Anccef - Association nationale des conseillers conjugaux et familiaux

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Témoignage de Catherine MILAN (76)

Christian LE BLANC, Conseiller Conjugal et Familial, a initié auprès d'une association havraise AVRE76 « AIDE AUX VICTIMES PAR LA REPARATION ET L'ENTRAIDE » et a proposé la présence d'un CCF pour un travail d'accompagnement des familles victimes de violences conjugales. L'équipe composée essentiellement de juristes, secrétaire et bénévoles (CCF, infirmières psychiatriques, juristes, profs, etc…) ont accepté cette contribution innovante dans l'association. Cliquez le titre pour lire la suite

Christian LE BLANC quittant le Havre a recherché un professionnel CCF et m'a convaincue de m'y inscrire. Nous avons pu échanger sur son expérience au sein de l'association, sa détermination à alerter sur la place des enfants qui subissent l'environnement familial dévasté par les violences, le peu de prise en compte des institutions sur les dommages causés et les non-réponses, voire un mutisme administratif sur les alertes avancées. Je ne me suis pas impliquée en termes de temps et d'engagement de la même façon que lui mais sur l'idée d'associer et/ou de proposer une écoute auprès des enfants reste une perspective à explorer.

En fonction des demandes exprimées, les professionnels juristes et secrétaires réorientent vers des CCF et des infirmières psychiatriques et de plus en plus souvent, un premier entretien en binôme (juriste et CCF accompagnant) est proposé. Ce temps permet d'évoquer la situation avec une lecture et une écoute multiple et différenciée. A l'issue de cet entretien, chacun se tient à disposition pour poursuivre ou non ce possible accompagnement. Je prends en compte les informations juridiques fournies par le collègue du binôme et suis attentive aux réactions de ladite victime car franchir la porte de cette association en tant que demandeur vous inscrit comme victime, statut qui peut figer, questionner, faire douter, renoncer à....

J'ai rencontré un plus grand nombre de femmes sur l'ensemble de personnes reçues vivant en couple, en famille,  séparées - dans des situations éruptives dramatiques (agressions physiques graves, harcèlement permanent et menaces qui s'intensifient où la peur de perdre la vie devient presque inéluctable, le fait que les enfants « prennent des coups » ici et maintenant, passage à l'acte du parent) ou dans des situations plus latentes, où la part de la peur permanente,  enkystée,  est constitutive, le faire « avec », une culpabilité abyssale sur la non-protection des enfants, l'empêchement de rompre un état qu'on connaît qui permet de survivre, un effondrement annoncé.

Les entretiens acceptés sont devenus des espaces de rencontre, d'apprivoisement, de tentative de remise en confiance dans soi et dans les autres, des rites dans l'ouverture à autrui, dans la recherche pas à pas, de lueurs qui pourraient empêcher de sombrer, de tenter de se maintenir tout en respectant le rythme, le désir de changement si celui-ci est envisagé et envisageable. Laisser se dérouler le fil des potentialités que la personne imagine pour elle et même si cela passe par des silences, par un mutisme, par être « sans voix, sans voie » : patienter et soutenir dans ce qui pourra se faire jour ou non, ici et maintenant. J'éprouve à l'égard de ces personnes un très grand respect dans ce qu'elles essaient de faire émerger, parfois les circonstances de violence les ont précipitées dans une démarche où,de fait, elles sont amenées à dire, à se justifier sans y être préparées, sans l'avoir vraiment décidé. Comment peuvent-elles s'accorder la confiance et le désir ?

Le conjugal est toujours présent en trame de fond dans ce qui est évoqué dans les entretiens : pas seulement dans les violences conjugales subies mais aussi dans les regrets d'une situation conjugale normalisée parfois idéalisée. Ces femmes sont traversées par de nombreux paradoxes qui rendent difficiles la prise de décision de partir, ne serait-ce dans le statut composite d'être femme, amante, mère ? Comment le vivre et le faire vivre ?

Dans le cadre de l'association AVRE76 je ne pratique pas de conseil conjugal au sens de réfléchir avec un couple sur leur histoire conjugale et de ce qui les amènerait  à consulter dans leur souffrance commune peut-être pour tenter de « conserver leur conjugalité ou de l'imaginer autre ou de se séparer dans une décision partagée » . Cet accompagnement  pourrait se définir dans une démarche de la relation d'aide, dans une posture d' écoute attentive sur ces relations souffrantes exprimées ou non, dans des questionnements qui émergent et dans ces liens qui se tissent sur lesquels le consultant peut prendre appui et s'y référer.

Quelques hommes ont franchi la porte de l'association en tant que victimes de violences conjugales, ayant porté plainte, Ils se sont interrogés sur leur statut d'homme telle que la représentation sociale les y inscrit et tel qu'ils se l'imaginent. Ces accompagnements sur quelques entretiens ont été éclairants sur la place de chacun attendue, construite, figée, controversée et source de débat.

J'ai reçu quelques enfants âgés entre 6 et 10 ans et des adolescents et jeunes adultes à la demande du parent accompagné, un entretien a été co-animé. Je les ai reçus seuls. Il a été prévu de ne rien retransmettre au parent malgré leurs hésitations et leurs inquiétudes, clé de la confiance que les enfants nous ont accordée. Ces entretiens furent d'une grande intensité, de confiance réciproque et d'une fluidité dans ce qui a pu se dire avec une forte lucidité de ce qui se jouait dans l'univers parental, familial, des perceptions, des interrogations mises en mots.

Les confinements « subis » de cette année m'ont installée dans une forme d'hibernation psychique où les lueurs ont été difficiles à émerger pour écrire ce texte... Je n'ai pas accepté de mener des entretiens par téléphone, je reste convaincue par le « présentiel » et la rencontre démasquée.

                                                                     

                                                                                                                   Catherine MILAN (76)