Vivre et penser le Conseil conjugal et familial - Albert MOYNE
B - Au-delà de l'imaginaire, érotisme et pornographie
On pourra s'étonner de trouver un texte sur ce sujet à propos du Conseil Conjugal. La question y est rarement abordée. Pour ma part, je l'ai frôlée une fois et je me suis aperçu au dernier moment que j'allais avoir du mal à expliquer clairement la différence. J'ai bifurqué discrètement ailleurs…puis j'ai réfléchi.
La distinction entre érotisme et pornographie se posera inévitablement tôt ou tard dans la vie, puisque les deux sont liés au sexe. Mais cette distinction n'est pas facile. Témoin le mot célèbre : « La pornographie, c'est l'érotisme des autres », ce qui peut se traduire concrètement par : on a peur d'être traité de pornophile dès qu'on lève un voile sur son érotisme. Dans les deux cas, on est en présence de quelque chose qui n'est pas seulement personnel, mais qui est intime, secret et qui risque d'être mal compris par les autres, parce que là-dessus chacun est unique.
Au premier abord, « eros » en grec signifie l'amour physique, l'envie ou l'élan sexuel, le désir sexuel. Alors que le terme de « pornos » désigne une prostituée de bas étage ou un débauché. En un sens, il est dévaluatif, ce que n'est pas « eros ». C'est une forme du « Dasein », de « l'être là », c'est-à-dire de « l'on », de l'impersonnel de Heiddeger, alors que l'eros serait une forme du projet personnel, du style d'existence. D'autant que on trouve même certains textes où « eros » a un sens plus noble. « L'eros grec est un enchanteur » a écrit joliment JP.Vernant, spécialiste de la Grèce antique, professeur au Collège de France (L'individu, l'amour, la mort en Grèce ancienne, Gallimard, 1996, p.139.
Il y a donc une différence de niveau, de signification, de direction, peut-être de nature. Finalement, Eros peut être ennobli, alors que pornos restera dévaluatif ou dévalué.
Certains auteurs s'en tirent en ne faisant pas la distinction mais en établissant des « niveaux » dans l'érotisme. Ainsi G.Bataille dans un livre qui fait référence, L'érotisme (Gallimard, 1955) ne parle pas de pornographie. Il a tout un chapitre sur « l'érotisme mystique » (!) avec la reproduction en couverture de Ste Thérèse d'Avila en proie à une extase mystique dans le tableau du Bernin. Car Bataille a de l'érotisme une conception particulière dont la mort, la souillure, la transgression et l'expérience mystique sont proches. On trouve une idée voisine chez certains psychanalystes qui rapprochent Eros et Thanatos.
Un autre signe intéressant est à relever. Paul Valéry, aux alentours des années 1930 s'était posé la question: « quelle est la fonction de la poésie ? » Réponse : « produire l'enchantement » ...C 'est le même mot que JP.Vernant définissant Eros. comme un style d'existence. De fait l'érotisme, à cause de son caractère aérien, se retrouve en poésie. Que l'on songe aux poètes latins, à Ovide, à la poésie française depuis Ronsard. Et la chanson qui se prête à l'érotisme avec Brel, Ferrat, P.Perret, Brassens et tant d'autres. Or a-t-on jamais vu un texte pornographique en poésie et même en chanson ?
L'animal à sa façon, connaît l'érotisme. Les parades nuptiales font partie de la nature où la beauté renforce l'instinct. Mais l'esthétisation de ce dernier ne se retrouve pas partout et reste limité dans le temps. Chez l'homme, ce qui remplace la parade nuptiale c'est le voile ou la mode. Car le voile, facile à écarter, convient à l'érotisme qui s'adresse à l'imaginaire alors que la pornographie appelle le toucher brutal sans médiation ou le voyeurisme.
L'érotisme c'est une violette de printemps posée sur le corps nu ou demi-nu de l'être humain, l'être aimé. C'est pourquoi l'érotisme peut être spiritualisé, il est sous l'influence de l'esprit, la pornographie non.
Peut-être même peut-on aller plus loin. Est-il possible de prier sur des images - au moins mentales - érotiques ? On peut à tout le moins les offrir à Dieu. D'ailleurs la Bible contient beaucoup de textes à résonance érotique. Pour être le plus connu, le Cantique des Cantiques n'est pas le seul. Dans l'Islam, la poésie soufiste également. Leur recension étonnerait l'ignorant.
L'art, la peinture spécialement, apporte une confirmation à tout ceci. L'érotisme relève de l'esthétique. Les impressionnistes sont aux premières loges, les pointillistes également. En revanche, j'hésiterais pour certains Courbet, (L'origine du Monde par ex.) - d'ailleurs classé parmi les peintres réalistes. Il y aurait ainsi toute une échelle de spiritualisation. Que l'on songe aux peintres de la Renaissance italienne, à Raphaël et Botticelli, et plus tard à Rubens.
L'humour peut être considéré comme parent de l'érotisme. Il est une façon de suggérer de voir autrement, d'imaginer autrement, de contourner la réalité brutale d'une personne ou d'une situation sans cesse étalée.
On peut même penser que certains passages d'évangile qui ont trait à la sexualité auraient un parfum érotique par leurs évocations furtives et discrètes: les cinq maris de la Samaritaine et le caractère mystérieux de la femme adultère (Jean 7-43) qui rappelle Suzanne et les vieillards (livre de Daniel, chap.13), épisode de la Bible qui a inspiré de nombreux peintres.
Peut-on avoir honte de l'érotisme, comme le prétend Bataille (p.116) ? Rien d'étonnant puisque chez lui la honte est liée à la transgression et celle-ci à l'interdit. Tout le contraire du pape François qui interdit de parler de l'érotisme en termes de honte, donc d'interdit, en le nommant dans un tout autre sens, proche de la tendresse et par conséquent du respect.
Alors que, dans le texte de François la pornographie n'est nommée qu'une fois (§41) à propos de la commercialisation du corps, voici les principaux passages où le pape parle de l'érotisme : « La passion érotique » accompagne la tendresse et l'amitié (§120). « L'église n'a pas refusé l'eros comme tel mais sa fausse divinisation » (§147), « il est un langage interpersonnel… il suppose l'émerveillement et peut humaniser les pulsions » (§151), « la dimension érotique est un don de Dieu » (§152) et dans une moindre mesure le § 321 où il est question de « reflet de l'amour divin » sous la forme de « la caresse par l'étreinte ». On peut donc dire que François, après des siècles de fausse pudeur, réhabilite l'érotisme. C'est ce que nous allons voir maintenant dans un chapitre nouveau (ch.13)